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Kenya : Ngugi wa Thiong’o, l’homme qui voulait décoloniser l’esprit par la langue

Le célèbre écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o est décédé mercredi 28 mai au matin à l’âge de 87 ans. Auteur d’une œuvre ancrée dans sa terre natale, il a refusé de suivre la tradition occidentale en écrivant dans sa langue, le Kikuyu. C’était pour lui, un moyen plus puissant de décoloniser l’esprit de son peuple et de faire une littérature par lui et pour lui.

Le célèbre écrivain kényan Ngugi wa Thiong’o nous a quittés le mercredi 28 mai à l’âge de 87 ans. C’est sa fille qui a annoncé son décès sur Facebook. « C’est avec le cœur lourd que nous annonçons le décès de notre père, Ngugi wa Thiong’o, ce mercredi matin », a écrit Wanjiku Wa Ngugi, ajoutant qu’« il a vécu une vie bien remplie et s’est bien battu. ».

Un militant des droits de l’homme de la démocratie au Kenya

Plusieurs personnalités ont salué sa mémoire, mais également des organisations non gouvernementales. C’est le cas d’Amnesty International, dont la branche kényane écrit sur X : « Ayant déjà gagné sa place dans l’histoire du Kenya, il passe de la mortalité à l’immortalité ». Ngugi wa Thiong’o s’est plusieurs fois distingué par son combat pour la liberté et les droits de l’homme dans son pays. Il a été emprisonné par les autorités kényanes en 1977 et 1978, notamment pour avoir écrit des pièces de théâtre qui s’attaquent aux élites du pays.

Ngugi wa Thiong’o était un prétendant régulier au Prix Nobel de littérature

Ngugi wa Thiong’o était surtout connu comme un grand écrivain d’Afrique de l’est. Il a même été pressenti à plusieurs reprises pour remporter le Prix Nobel de littérature. S’il l’avait gagné, le Kényan aurait été le sixième africain à recevoir cette récompense suprême après le Nigérian Wole Soyinka (1986), l’Égyptien Naguib Mahfouz (1988), les Sud-Africains Nadine Gordimer (1991) et J.M. Coetzee (2003) et le Franco-Mauricien J.M.G. Le Clézio (2008). Il a écrit une trentaine de romans, pièces de théâtre, recueils de nouvelles, essais et livres pour enfants.

Un auteur peu traduit en Afrique francophone

S’il est très célèbre dans le monde anglophone, Ngugi wa Thiong’o reste peu connu en Afrique francophone. Et pour cause, seules cinq de ses œuvres ont été traduites à ce jour en français. Ce sont : Et le blé jaillira (Julliard, 1969), Enfant, ne pleure pas (Hatier, 1983), Pétales de sang (Présence africaine, 1985), La Rivière de vie (Présence africaine, 1988) et Décoloniser l’esprit (La Fabrique, 2011). Encore faut-il les trouver en librairie pour découvrir ce talentueux auteur, l’un des rares en Afrique à s’être approprié sa langue maternelle.

Ngugi wa Thiong’o a fait le choix d’écrire en Kikuyu

En effet, alors qu’il s’était déjà fait un nom dans la sphère littéraire avec quatre romans et deux pièces de théâtre, Ngugi wa Thiong’o a fait le choix en 1980 d’écrire en Kikuyu. Aussi désigné par Gikuyu, le Kikuyu est une langue parlée par le peuple du même nom au Kenya. Il s’agit d’une langue bantoue, du vaste phylum Niger-Congo. Dans cette langue qui possède une grammaire bien structurée, il produira notamment les romans Devil on the cross (1980), Matigari (1986) et Wizard of the crow (2004).

Une littérature pour le peuple et par le peuple

En 1986, Ngugi wa Thiong’o consacre un livre entier à sa décision d’écrire en Kikuyu, intitulé Decolonising the Mind (Décoloniser l’esprit). Il y relève la nécessité de s’affranchir de la langue des colons pour exprimer une expérience, des représentations et une culture authentiquement africaines pour ainsi toucher un lectorat populaire. « Dans la mesure où elles sont celles du peuple, les langues africaines ne peuvent qu’être ennemies de l’État néocolonial », écrit-il. Pour lui, il fallait non seulement une littérature du peuple mais également par le peuple, afin que celui-ci s’identifie et contribue plus facilement à l’œuvre de création.

Ngugi wa Thiong’o n’est pas le seul écrivain africain à avoir écrit dans sa langue maternelle

En 2024, dans un entretien à l’Agence France-Presse depuis la Californie, où il vivait en exil, Ngugi wa Thiong’o affirmait encore qu’il croyait « tellement en l’égalité des langues », qu’il se sentait « complètement horrifié » par leur hiérarchisation. S’il a abondamment écrit dans sa langue maternelle, il faut toutefois noter que l’écrivain kényan n’est pas le premier ni le dernier à le faire en Afrique. D’autres auteurs ont relevé le défi. Ils étaient essentiellement anglophones. Cela s’explique par le fait que, contrairement à la politique coloniale en Afrique francophone, le système colonial anglophone était plus ouvert à l’apprentissage des langues locales et à leur usage dans les œuvres littéraires qui étaient acceptées par les éditeurs britanniques.

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