La Côte d’Ivoire passera-t-elle d’un refuge pour les LGBTQ+ à un enfer pour ces personnes ? Depuis quelques jours, l’homosexualité est la cible d’une campagne virale intitulée « Non aux Woubis » (« Non aux homosexuels »). Une marche a même été organisée par des jeunes à Abidjan pour dénoncer une pratique sexuelle « déviante ».
La Côte d’Ivoire bascule dans l’homophobie. Depuis une semaine, une campagne intitulée « Non aux Woubis » (« Non aux homosexuels ») fait rage sur les réseaux sociaux. À travers des publications, de nombreux internautes appellent à réprimer l’homosexualité, une pratique sexuelle jugée déviante dans le pays. Ils s’insurgent contre la diffusion de vidéo dans lesquelles de jeunes ivoiriens LGBTQ+ s’exhibent dans des accessoires pour femmes et font la promotion de leur orientation sexuelle.
Une marche contre l’homosexualité à Abidjan
Pour beaucoup, c’est clairement une provocation, alors que ces gens s’étaient toujours faits discrets dans le pays. Les Ivoiriens pensent qu’il s’agit d’une campagne malsaine pour influencer les adolescents. Ils s’inquiètent d’autant de cette tendance que plusieurs vidéos postées sur les réseaux sociaux montrent des enfants qui jouent les homosexuels. Dans certaines communes d’Abidjan, comme Yopougon, des jeunes ont même effectué une marche pacifique pour se faire entendre des autorités.
Des influenceurs adhèrent à la campagne de haine
Si des Ivoiriens lambda expriment ouvertement leur homophobie (curieusement sans cibler les femmes appelées « Lélé »), des personnalités publiques prennent également position contre cette pratique. A l’instar de Zagba Le Requin, le leader de la Team Paiya, le groupe ivoirien auteur du tube « Coup du Marteau ». Sur sa page Facebook, l’artiste estime que « les Woubis sont sans gêne », en faisant des « cheveux [qui] dépassent pour nos femmes » ainsi que des « rangs pour mettre de faux ongles ». Il ajoute : « chacun à son choix OK. Je ne suis personne pour juger OK. Mais respectez les valeurs de ce beau pays ».
Apoutchou National, un artiste et influenceur, a également accusé les Woubis de vouloir dévier les adolescents des penchants naturels. Un homme va avec une femme, et vice versa, a-t-il dit. C’est ce qu’il compte apprendre à ses enfants. Pour sa part, Hassan Hayek, un autre influenceur et philanthrope ivoirien, a affirmé dans une publication que « les vrais Woubis ne sont pas ceux qui dansent sur les réseaux sociaux ». Selon lui, les « vrais sont cachés ».
Il y a d’autres combats plus importants en Côte d’Ivoire
Ces « Woubis cachés » seraient de riches et puissantes personnes comme les producteurs de musique, des dirigeants politiques, des hommes d’affaires, etc. En les voyant, on ne saurait pas qu’ils pratiquent l’homosexualité active et/ou passive, tant ils ont une vie normale avec femmes et enfants (des bisexuels donc). Ce sont ceux-là qui alimenteraient le réseau, qui corrompraient les jeunes.
Si une grande majorité de la population valide la campagne homophobe, une minorité d’Ivoiriens estime qu’il faut s’occuper de problèmes plus importants. Par exemple la vie chère, les déguerpissements illégaux et la violation des libertés individuelles. Pour ces questions-là, on ne voit pas les Ivoiriens descendre dans la rue. Mais quand il s’agit de protester contre ce qui regarde deux adultes entre quatre murs, ils se mobilisent spontanément.
La loi ivoirienne protège les homosexuels
S’ils s’unissaient ainsi pour des sujets plus importants, les dirigeants auraient déjà pris des mesures sociales bénéfiques à la population. Est-ce le signe d’une jeunesse oisive ? Peut-être ! Au lieu de craindre pour les valeurs traditionnelles, chaque parent devrait plutôt s’occuper d’éduquer son enfant comme bon lui semble. D’ailleurs, dans une République, tous les citoyens jouissent des mêmes droits civils. Les Woubis sont libres de leur pratique sexuelle tant que cela ne porte pas atteinte à la liberté des autres.
Sur ce point, le régime ivoirien a plutôt bien fait les choses. Dans l’article 367 du nouveau code pénal, il stipule que : « Le fait d’inciter des personnes à maltraiter autrui en raison de son origine, de son appartenance ethnique, de sa religion ou son orientation sexuelle est puni selon la gravité de l’acte ». Les peines partent de 1 à 5 ans d’emprisonnement et de 500.000 FCFA à 5 millions FCFA d’amende ; de 10 à 20 ans d’emprisonnement, assortis de 20 millions FCFA à 40 millions FCFA d’amende.
L’homosexualité pourtant tolérée dans le pays jusqu’à cette semaine
En Côte d’lvoire, l’homosexualité n’est pas criminalisée, même si elle n’est pas autorisée, non plus. Ce pays a toujours été un refuge pour les personnes queer depuis de nombreuses décennies. Les membres de la communauté LGTBQ s’affichent librement dans les rues, en particulier à Abidjan. Ils exercent tranquillement leurs activités, notamment dans des marchés comme Sicogi à Yopougon, en tant que « tresseuses » et « couturières ».
Mieux, les Woubi organisent des évènements spéciaux et ont leurs lieux de rencontre (bars, clubs, etc.). Récemment, en mai 2024, il y a eu la quatrième édition du festival Awawalé, consacré à l’amélioration des droits et à la visibilité des personnes LGBT+. Ce qui témoigne d’une certaine tolérance de la Côte d’Ivoire, face à des pays répressifs comme le Sénégal, la Guinée et le Ghana. Mais la surveillance policière de cet évènement rappelle aussi que le combat reste entier, surtout avec la campagne actuelle.