Depuis dix ans, la Chine ne cesse d’accroître son emprise sur les réserves de bauxite guinéenne, qui représentent les 3e au monde. Une mainmise dont l’économie guinéenne et la population du pays sont loin de voir les bénéfices.
Avec des réserves de bauxite estimées à plus de 40 milliards de tonnes, dont 23 milliards localisées dans la région de Boké, la Guinée dispose des troisièmes réserves de ce minerai essentiel pour produire de l’aluminium. Alors que le précieux métal connaît un boom considérable à travers le monde entier, le sous-sol guinéen représente une manne financière conséquente, cruciale pour assurer le développement de ce pays d’Afrique de l’Ouest qui figure parmi les plus pauvres de la planète.
La Chine renforce sa mainmise sur le sous-sol guinéen
Depuis son accession au pouvoir en 2010, le président Alpha Condé s’est engagé dans une stratégie de coopération commerciale avec la Chine, premier consommateur mondial de bauxite, fondée sur l’exploitation des ressources minières. Une stratégie assumée via le lancement, en février dernier, de la chaîne logistique mondiale de bauxite Chine-Guinée. Une initiative qui s’inscrit pleinement dans le projet chinois « La Ceinture et la route » qui vise à revitaliser les anciennes routes de la soie et à sécuriser les apports en matière premières du pays.
L’essor des implantations d’entreprises et des projets de coopération, ainsi que la présence croissante d’une main-d’œuvre en provenance de la République populaire de Chine jusqu’aux rencontres récurrentes du président guinéen avec Xi Jinping, témoignent de l’influence grandissante de l’Empire du Milieu sur le secteur minier guinéen. Autre élément révélateur, l’accord-cadre sino-guinéen signé en septembre 2017 qui a octroyé des concessions minières à plusieurs entreprises chinoises. Entre autres, le numéro un mondial de l’aluminium Chinalco a été autorisé à construire une mine de bauxite, tout comme son compatriote, l’entreprise de construction China Henan International Cooperation Group. En contrepartie, la Chine s’engage à investir pas moins de 20 milliards de dollars pour financer des projets d’infrastructures dans le domaine de l’équipement routier, de l’éducation ou encore de l’électricité.
Des retombées économiques à sens unique
De prime abord, le partenariat entre la Guinée et la Chine apparaît comme une opportunité pour le développement de ce pays d’Afrique subsaharienne. Mais l’injonction d’investissements chinois dans l’économie guinéenne ainsi que les projets d’infrastructures ne profitent pas à la population locale.
Alors que les exportations de bauxite atteignent 22,6 millions de tonnes au second trimestre 2020, en augmentation par rapport à l’année précédente, la moitié de la population guinéenne vit encore sous le seuil de pauvreté. Plus encore, le secteur minier représente seulement 3% de l’emploi national alors qu’il compte pour 13% du PIB.
Une situation qui s’explique par l’attitude des entreprises chinoises. Celles-ci ont développé un fonctionnement en circuit fermé qui exclut les populations locales, devenues spectatrices d’une croissance uniquement financière. Et cela, en faisant le choix d’une main d’oeuvre chinoise et en important la bauxite pour ensuite extraire le procédé chimique, l’alumine, sur le sol chinois et non en Guinée.
La dépendance grandissante de la Guinée vis-à-vis de la Chine
Mais la présence de la Chine sur le sol guinéen ne se limite pas au secteur minier. Fidèle à sa réputation de plus gros créancier du monde, elle n’hésite pas à accorder des prêts à l’État guinéen. Plus d’1,2 milliard d’euros ont été octroyés pour le barrage de Souapiti, projet phare et très contesté de la présidence Condé. Un projet sous la forme d’un partenariat entre le gouvernement et la société chinoise China International Water & Electric Corp (CWE), qui est responsable de la construction, et sera co-propriétaire et chargée de son exploitation. Une menace pour 16 000 Guinéens qui doivent abandonner leurs terres et quitter leurs villages.
Une situation qui interroge sur l’indépendance du pouvoir politique guinéen vis à vis de Pékin. Déjà en 2017, sous la forme d’un rapport remis au président Alpha Condé, les deux professeurs d’économie Christian de Boissieu et Patrice Geoffron alertaient sur la « dépendance aiguë » et les « risques économiques importants » soulevés par la surprésence de la Chine en Guinée.
Autant de signes qui laissent présager de l’influence grandissante de la Chine en Guinée alors même que cette dernière ne profite pas des retombées économiques escomptées. À bien des égards, la Chine a adopté une stratégie unilatérale, qui n’est pas en mesure de participer à une amélioration significative du niveau vie de la population guinéenne.