EconomieSociété

Chinafrique : Comment la Chine avance ses pions en Guinée-Conakry

La Chine ne cesse de resserrer son étreinte sur la Guinée-Conakry, premier gisement mondial de bauxite. Pour le vieux président Alpha Condé, 82 ans, cette emprise croissante est le prix à payer pour rester au pouvoir envers et contre tout, grâce au soutien de Pékin. La Guinée y perdra-t-elle son âme ?

Tandis que l’Europe se confinait à cause du Covid-19, la Guinée Conakry était appelée aux urnes le 22 mars dernier pour se prononcer sur l’adoption d’une nouvelle constitution proposée par le président Alpha Condé. Un texte qui acte le renforcement du caractère présidentiel du régime, et qui a suscité l’ire de l’opposition guinéenne et l’inquiétude de la communauté internationale. En cause : la fin de la limitation du nombre de mandats présidentiels, inscrite dans la nouvelle constitution, ouvre la voie au vieux président de 82 ans, élu pour la première fois en 2010, vers un troisième mandat.

En bute à l’opposition de la société civile, qui a décidé de boycotter le scrutin, l’exécutif guinéen n’a pas hésité à employer les grands moyens pour parvenir à ses fins. Les plus violents aussi : dans un rapport consacré au référendum guinéen, l’ONG Human Rights Watch dénonce la disparition d’au moins 40 membres de l’opposition entre la mi-février et la fin-mars, et le décès de 6 manifestants le jour du vote. Selon la même association, plus de 30 personnes auraient par ailleurs été tuées par les forces de sécurité guinéennes durant la période précédant le référendum, entre octobre 2019 et février.

Une « mascarade électorale » couverte par la Chine

Si des voix se sont élevées dans le monde pour condamner cette « mascarade électorale », la Chine n’a quant à elle pas manqué de voler au secours du vieux chef d’Etat. Dans un communiqué publié sur le site de son ambassade en Guinée, le ministère des Affaires étrangères chinois complimente « les bonnes conditions » dans lesquelles se serait déroulé le référendum et s’extasie du « large soutien » dont bénéficierait désormais la nouvelle constitution. Sans faire mention, naturellement, de la répression policière à l’égard de l’opposition durant les six mois précédents le scrutin, et du lourd bilan humain que celle-ci a entraîné. Une expression de soutien, dont la présidence guinéenne, désormais fragilisée sur la scène internationale, s’est empressée de se prévaloir.

Loin d’être anecdotique, cette prise de position de la Chine dénote la stratégie d’appui sans réserve de Pékin à l’égard d’Alpha Condé. Depuis son élection, ce dernier a multiplié les prises de parole enthousiastes à l’égard de la Chine et les voyages officiels dans l’Empire du Milieu. L’ambassadeur de Pékin dans le pays, Huang Wei, est un habitué des palais et des bureaux des ministres de la république guinéenne, et en particulier de celui de Mamadi Toure, ministre en charge des Affaires étrangères de Guinée. Au cours de rencontres privilégiées avec les officiels guinéens, l’émissaire fait valoir le point de vue de Pékin sur des sujets variés, sans crainte de ne pas rencontrer l’assentiment inconditionnel de son interlocuteur.

Silence sur le « génocide » des Ouïghours

Et pour cause : le président Alpha Condé, désormais contesté dans la rue, a plus que jamais besoin du soutien de la Chine. Le vieux chef d’Etat ne manque donc jamais de renvoyer l’ascenseur à l’occasion pour venir en aide à son allié chinois, avec lequel il apparaît partager une conception très particulière des droits de l’homme. Lors de la 44e session du Conseil des droits de l’homme des Nations unies, Conakry s’est associé à 45 autres pays pour rejeter les « allégations non fondées contre la Chine » concernant le génocide des Ouïghours, cette minorité musulmane réprimée pour des raisons ethniques et religieuses. Une prise de position tranchée qui choisit d’ignorer les photos satellites montrant la destruction de plusieurs milliers de mosquées entre 2017 et 2018 dans l’Ouest de la Chine, les témoignages, accablant qui rapportent l’internement de 1 million de Musulmans dans des camps de concentration dans la province du Xinjiang et ceux qui dénoncent l’organisation par les autorités d’un trafic d’organes prélevés sur des prisonniers ouïghours. Alors que 88% de la population guinéenne est de confession musulmane, rares sont les voix à s’élever pour dénoncer cette effroyable compromission de la diplomatie guinéenne. Ces contradictions ne sont du reste pas propres à la seule question des Ouïghours. Dans le cas de l’annexion d’Hong Kong, entérinée fin juin, la république guinéenne si fière de son indépendance obtenue en 1958, n’avait aussi rien trouvé à redire à la fin de la souveraineté de la petite cité Etat.

Les liens qui unissent la Chine et Alpha Condé sont loin de se résumer à de simples échanges de bons procédés sur fond de mépris commun des droits de l’homme. Du côté de Conakry, l’appui de la Chine apparaît comme une question de survie, afin de briser un isolement diplomatique qui se resserre à chaque nouveau scrutin contesté et à chaque répression violente de manifestants ou d’opposants.

Une exploitation des ressources minières qui ne profite pas aux Guinéens

Du côté de Pékin, ce rapprochement s’inscrit dans le cadre d’une stratégie d’alliances avec des régimes et des autocrates contestés et fragilisés dans toute l’Afrique, afin de s’assurer des soutiens loyaux sur la scène internationale et de mettre la main sur de précieuses ressources naturelles. Une stratégie parfois critiquée comme allant dans le sens d’une « recolonisation » du continent africain, mais qui s’avère particulièrement efficace pour sécuriser l’approvisionnement des usines chinoises en matières premières. Sans que la population des pays concernés n’en bénéficie le moins du monde.

Alors que la Guinée est le 174e pays en termes d’Indice de développement humain, celle-ci compte dans le même temps les plus importantes réserves mondiales de bauxite, le minerai utilisé pour la production de l’aluminium. Et constitue aussi à ce titre un pays stratégique pour le régime chinois. La société chinoise TBEA Group a ainsi investi plus de 2,89 milliards de dollars afin de construire une mine de bauxite d’une capacité de 10 millions de tonnes par an, une raffinerie d’alumine d’une capacité de 1 million de tonnes par an ainsi qu’une fonderie d’aluminium d’une capacité de 200 000 tonnes par an. Ce projet gigantesque n’a pourtant pas suscité que des réactions enthousiastes dans la population. Loin de participer à la prospérité de la population, les revenus miniers qui pèsent pour 13% du PIB guinéen, ne représentent en effet que 3% de l’emploi total, et restent donc captés par une minorité d’hyper-privilégiés. Des inégalités criantes qui suscitent la colère de la population à l’encontre d’une autre société chinoise, Chalco, filiale du géant de l’aluminium Chinalco installée à Boffa. Les montants dérisoires de compensation versées par la société et le faible nombre d’emplois finalement créés n’en finissent plus d’alimenter le désespoir dans la jeunesse guinéenne, maintenue dans la misère par le chômage de masse et le manque de services publics essentiels comme l’eau et l’électricité.

À l’heure où Alpha Condé, fort de ses scores vertigineux obtenus lors du dernier référendum, semble bien parti pour un troisième mandat, la Guinée semble plus que jamais s’aligner sur les positions de Pékin. Si le soutien du régime chinois apparaît plus que jamais crucial pour le vieux chef d’État pour sécuriser son pouvoir absolu, la population, quant à elle, n’apparait pas toucher les fruits de cette fuite en avant dans les bras de la Chine. De quoi promettre des lendemains amers pour ce petit pays d’Afrique de l’Ouest, dont la prospérité est loin d’égaler celle de ses voisins sénégalais et ivoiriens.

Autres articles à voir

Bouton retour en haut de la page